MEDECINE ET ROBOTIQUE

MEDECINE ET ROBOTIQUE

COMMENT FONCTIONNE LE PSYCHIATRE VIRTUEL ?

 

 

Des chercheurs du laboratoire de sommeil-addiction-neuropsychiatrie dirigés par le Pr Pierre Philip au CHU de Bordeaux ont annoncé, en mars 2017 par voie de presse, avoir créé le premier humain virtuel capable de diagnostiquer des troubles dépressifs.

Comment fonctionne ce psychiatre virtuel, première expérience d'intelligence artificielle en santé mentale ? Comment pourrait-on l'intégrer dans l'exercice médical quotidien?

Compte-rendu et analyse de la publication scientifique du Pr Philip pour les lecteurs de medecine-et-robotique. 

 

"Humain virtuel", "intelligence artificielle", les mots frappent l'imaginaire collectif. Que recoupent-ils exactement ?

Le psychiatre virtuel crée par les chercheurs de l'université de Bordeaux n'est pas un être anthropomorphe et autonome doté de bras et de jambes à la façon C3PO de Star Wars mais un agent conversationnel incorporé.

 


 

QU'EST-CE QU'UN AGENT CONVERSATIONNEL ? 

Les exemples connus sont les applications à reconnaissance vocale des smartphones type Siri d'Apple ou Google Now pour Androïd.

Un agent conversationnel ou chatbot en anglais est une interface homme-machine qui permet de dialoguer naturellement avec un programme informatique. Basé sur la reconnaissance vocale, il interagit avec le langage humain de l'utilisateur.

Les agents conversationnels ne sont  pas capables d'interpréter le vocabulaire et de comprendre les mots et les phrases. Ils ne peuvent donc pas mener une conversation au sens propre du terme. Les recherches actuelles tendent à développer la reconnaissance visuelle des expressions faciales pour compléter la reconnaissance vocale et améliorer leur performance globale.

 


 

Le but de l'étude était de développer un agent conversationnel capable de conduire un entretien face-à-face avec une personne humaine et de diagnostiquer une maladie dépressive majeure. La méthode diagnostique de référence étant l'entretien psychiatrique, l'agent conversationnel a été comparé à une consultation médicale humaine.

L'entretien était mené en suivant le questionnaire officiel dénommé DSM 5 de l'association américaine de psychiatrie. Le patient devait répondre par oui ou par non aux questions.

La video ci-dessous permet de visualiser l'entretien avec l'agent conversationnel. 

 

 

 

Description de l'étude

Les participants ont été sélectionnés parmi des patients consultant pour trouble du sommeil dans le service spécialisé du CHU de Bordeaux. Ces personnes ne se présentaient pas pour des troubles dépressifs et n'étaient pas connus pour en souffrir.

Dans le déroulement de l'étude, chacun devait participer à 2 entretiens consécutifs: un avec l'agent conversationnel et un avec le médecin psychiatre.  L'ordre des 2 entretiens était tiré au sort.

Ainsi, 2 groupes de sujets ont été composés: un groupe agent conversationnel en premier, médecin psychiatre en deuxième et un groupe médecin psychiatre en premier, agent conversationnel en deuxième. 

 


LES ETUDES COMPARATIVES EN MEDECINE

Les études comparatives sont utilisées dans tous les champs de la médecine, diagnostique, thérapeutique, qualité des soins... C'est ainsi qu'ont été obtenues les plus grandes avancées de ces dernières années, dans des domaines aussi importants que la lutte contre le cancer, les pathologies cardio-vasculaires ou encore les maladies infectieuses comme le VIH.

 

Quelques explications pour comprendre l'étude présentée dans cet article.

En médecine, on compare souvent à un "gold standard". Pour une maladie donnée, le gold standard est la méthode  de diagnostique ou le traitement de référence de la pratique courante.

L'entretien avec le médecin psychiatre est le gold standard du diagnostique de la dépression. En effet, il n'existe pas, en l'état actuel de nos connaissances, d'autre moyen de mettre en évidence cette maladie. L'objectif des chercheurs étant d'évaluer la performance de l'agent conversationnel, ils devaient donc organiser une comparaison avec le gold standard, à savoir la consultation du médecin psychiatre.

 

Mais les études comparatives doivent respecter des règles bien précises. Comme nous le savons tous, on ne peut comparer que ce qui est comparable. Les chercheurs ont donc réparti les participants dans des groupes le plus homogène possible, c'est-à-dire qui se ressemblaient au maximum : âge, sexe, antécédents médicaux... Par exemple, si un groupe a une moyenne d'âge de 25 ans et un autre une moyenne de 75, cela constitue un biais car on ne pourra pas savoir si le résultat observé est lié à l'âge ou à l'objet de l'étude.

Autre contrainte importante, les conditions d'intervention au sein des groupes doivent être identiques. Idéalement, seul l'objet de l'étude doit différer. Dans le cas présent, les chercheurs ont choisi de suivre le questionnaire de référence, DSM 5 de l'association américaine de psychiatrie pour les 2 entretiens.  Humain et intelligence artificielle ont ainsi travaillé dans les mêmes conditions et ont pu être comparés de façon fiable. 


Quels sont les résultats de l'étude ?

Les analyses statistiques ont comparé les résultats de 90 personnes incluses dans le groupe "psychiatre avant agent conversationnel" à ceux de 89 incluses dans le groupe "agent conversationnel avant psychiatre". Sur ce total de 179 malades, 35 étaient atteints de dépression majeure selon les psychiatres. L'agent conversationnel en a identifié convenablement 17 sur les 35, soit 49%. Elle n'a pas reconnu le diagnostic pour 18 personnes, soit 51%. Ainsi, la moitié seulement des malades ont été diagnostiqués convenablement par l'agent conversationnel.

La spécificité était de 93%, c'est-à-dire la probabilité que le test soit bien négatif pour un patient qui n'est pas déprimé.

Pour résumer ces chiffres, on peut écrire que l'agent conversationnel peut dépister la moitié environ des dépressions, une performance diagnostique plutôt modeste donc. En revanche, lorsqu'il a porté le diagnostic, sa performance est bonne, il se trompe peu.

Autre résultat important, l'agent conversationnel a été très bien accepté. Tous les patients ont intégralement suivi les entretiens.

 

Quelle est l'interprétation des auteurs de l'étude?

L'accueil favorable de l'agent conversationnel suggère aux auteurs qu'il est "capable de délivrer de l'empathie, d'obtenir la confiance des patients et de réduire la sensation d'être jugé par un humain, permettant de réduire les barrières émotionnelles pour révéler les états affectifs".

L'intérêt serait d'utiliser l'agent conversationnel pour diagnostiquer cette maladie chronique qu'est la dépression, ce qui permettrait de faire gagner du temps aux professionnels de santé. Les auteurs relèvent que la validité du diagnostic de dépression sévère faite par l'agent conversationnel est satisfaisante. Des progrès restent à faire car les taux de diagnostic sont faibles pour les dépressions modérées. Parmi les améliorations nécessaires, les auteurs souhaitent un progrès dans la reconnaissance faciale des émotions et de la gestuelle, ce que l'on nomme l'expression non verbale qui, associée aux propos, permet au médecin psychiatre d'analyser le patient qui est en face de lui. 

 

 

 A SUIVRE: 

ENTRE MYTHE ET REALITE SCIENTIFIQUE, QUE PEUT APPORTER L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE EN MEDECINE ?

 

 

 

 

 

Référence: 

https://www.u-bordeaux.fr/Actualites/De-la-recherche/Des-humains-virtuels-pour-diagnostiquer-des-troubles-depressifs

 

 

http://www.nature.com/articles/srep42656



15/10/2017
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