L'INDISPENSABLE NECESSITE DE TESTER L'INNOVATION TECHNOLOGIQUE
La révolution industrielle occasionnée par l'intelligence artificielle et la robotique soulève les plus grandes interrogations. Certains commentateurs sont très alarmistes, mettant l'accent sur les risques de chômage technologique par remplacement massif des professionnels de santé. Un sujet pourtant essentiel est bien peu débattu, celui de l'évaluation de l'innovation. La validation scientifique de sa capacité à apporter une réelle valeur ajoutée sur le terrain reste essentielle. Elisabeth Mc Glynn et Mark Clellan, 2 spécialistes de l'évaluation des politiques de santé nous livrent leur analyse et leurs propositions dans un article paru en mars 2017 dans la revue américaine Health Affairs.
Pour les 2 auteurs, la politique d'innovation des structures de santé se heurte à plusieurs difficultés majeures. En effet, certaines nouveautés n'ont pas répondu aux attentes initiales. Il existe par ailleurs une pression à adopter l'innovation qui incite les dirigeants à prendre des décisions sans disposer de preuve réelle de bénéfice.
Pour répondre à ces problématiques, les auteurs défendent l'idée d'une évaluation de l'innovation. S'inspirant des essais cliniques, E. Mc Glynn et M. Clellan proposent plusieurs règles épistémologiques. Avant implantation, il s'agit de recueillir les meilleures preuves pour prendre la bonne décision. Après acquisition, il s'agit de savoir si l'innovation fonctionne où si elle doit être modifiée.
Ils ont identifié plusieurs questions clefs qui doivent servir d'armature à l'évaluation : identifier et décrire la population cible, décrire le statut de cette population cible afin de pouvoir retracer ultérieurement les changements apportés, enfin, documenter les composants techniques de l'innovation. En effet, une solution technique n'est pas obligatoirement adaptée à tout type de patients et de situations cliniques. A l'instar de la recherche médicamenteuse, il est important, si l'on veut obtenir des résultats fiables et interprétables, de bien définir à l'avance la catégorie de patients qui peut bénéficier de la nouveauté et d'étudier spécifiquement les effets de l'innovation sur sa qualité des soins. Résumant les point de vue des auteurs, une éditorialiste du BLOG de la revue Health Affair écrivait que les questions à poser étaient les suivantes. Est-ce que l'innovation est adaptable à ma structure? Doit-on faire ça ici? Peut-on faire ça ici? Comment faire ça ici?
Il s'agira ensuite de soumettre les résultats à une analyse critique en s'interrogeant de la façon suivante. Les changements seraient-ils arrivés de toute façon, même en l'absence de l'innovation testée? Existe-t-il un paramètre non mesuré ayant pu affecter le résultat des tests?
Au delà des aspects techniques dont débattront les spécialistes de la méthodologie, l'article de E. Mc Glynn et de M.Clellan a, de notre point de vue, le mérite de poser les vraies questions. Le débat public est en effet dominé par les effets d'annonce qui accompagnent la présentation de chaque prototype, laissant accroire un développement irrésistible des nouvelles technologies. L'histoire récente est pourtant jalonnée d'échecs techniques et commerciaux qui dévoilent une réalité plus nuancée. Un observateur attentif constatera aisément que la plupart des communications technologiques ne concernent pas des objets éprouvés mais bien des prototypes aux effets supposés. Par ailleurs l'acceptation et la résistance à la technologie sont des aspects régulièrement occultés. Il est admis d'évidence qu'un objet technologique s'imposera dans un milieu professionnel pour bouleverser ses organisations de travail et ouvrir une nouvelle page d'histoire. Rien n'est moins sûr. La société n'est pas un corps inerte. Elle réagit toujours. Si la contradiction est trop forte entre le bénéfice apporté et l'intérêt des professionnels, l'innovation sera purement et simplement rejetée. A oublier qu'innover est aussi et surtout une question de société, on prépare l'échec de la révolution technologique, plus que son déploiement.
L'évaluation est une réponse. Un prototype doit être testé en conditions réelles avant mise sur le marché. Mais les tests ne doivent pas être uniquement technologiques. Ils doivent aussi étudier les effets de l'innovation sur la qualité des soins et les organisations de travail. Ainsi peut-on espérer obtenir une insertion harmonieuse des nouvelles technologies dans le monde de la santé, au bénéfice de tous, patients et professionnels.
SOURCES:
E. Mac Glynn, M. McClellan. Strategies for assessing delivery system innovation. Health Affairs 2017; 36: 408-416
Cyndy Brach. "Will it work here" ? Health systems need contextual evidence before adopting innovation.
Inscrivez-vous au site
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 23 autres membres