LA MEDECINE FACE AUX NOUVELLES TECHNOLOGIES
Article également paru dans la rubrique Le Cercle du quotidien Les Echos le 12 février 2018.
L'avancée spectaculaire de l'intelligence artificielle, de la robotique et des technologies de la communication est déconcertante pour la médecine. Discipline ancrée dans la biologie, elle n'est pas préparée à donner aux sciences issues des mathématiques appliquées un rôle prépondérant. Le doit-elle ? Rien n'est moins sûr. La maladie reste un désordre de la physiologie humaine et son traitement une interaction avec des processus biologiques.
Les "nouvelles technologies" interviennent dans l'aide au diagnostic (intelligence artificielle), aux actes techniques (robotique chirurgicale), à la consultation (télémédecine), en attendant les micro-robots circulants injectés dans le sang et capables d'atteindre les endroits les plus reculés du corps humain pour, enfin, réaliser un authentique traitement ciblé. Plus que le disque dur biologique, c'est donc avant tout l'organisation et les principes de travail que la médecine voit changer.
À quoi comparer le défi actuel ?
L'histoire de la médecine est jalonnée de ruptures qu'il n'est pas inintéressant de se remémorer. Ainsi de la tuberculose. Jusqu'au milieu du XXe siècle, elle fut un problème majeur de santé publique. Elle justifiait à elle seule une organisation sanitaire particulière fondée sur les sanatoriums. Plusieurs générations de médecins furent formées à sa prise en charge exclusive et y consacrèrent leur carrière.
L'arrivée d'antibiotiques efficaces à partir des années 1950 la fit reculer au point de rendre obsolète la politique publique qui lui était dédiée, entraînant la fermeture des sanatoriums et la quasi-suppression de l'activité médicale destinée à la combattre. La médecine se réorienta vers d'autres priorités.
Le changement des nouvelles technologies promet d'être plus radical. Disparitions et ré-orientations devraient concerner des secteurs professionnels plus larges. Mais, dans le fond, il sera comparable.
Une révolution en marche depuis 25 ans
Le bouleversement de la médecine a en réalité démarré il y a une vingtaine d'années avec les progrès saisissant des thérapeutiques médicamenteuses. Que l'on songe à l'insuffisance cardiaque, à la trithérapie anti-VIH, aux traitements ciblés des cancers, le pronostic jadis désastreux de plusieurs maladies chroniques a été transformé. Bien plus que la robotique et l'intelligence artificielle, c'est l'amélioration générale de l'état de santé qui métamorphose la médecine. L'action du médecin, jusqu'à présent presque exclusivement tournée vers le diagnostic et le traitement de maladies, élargit progressivement ses objectifs vers le maintien de la santé.
En ouvrant la possibilité d'automatiser les tâches fastidieuses et délicates, la robotique, l'intelligence artificielle et les technologies apparentées viennent poursuivre et amplifier des tendances à l'oeuvre depuis environ 25 ans.
Comment s'adapter ? Quel est l'avenir du métier de médecin ?
Notre médecine hyper-spécialisée centrée sur le geste technique est un handicap. Elle n'est plus adaptée au monde d'aujourd'hui. Le praticien qui concentre sa carrière sur une pathologie ou un acte unique est à risque de disparition pure et simple lorsque survient une innovation qui rend son action caduque. Pour affronter les changements à venir, il est essentiel de rester universel et de conserver une vision globale pour ne jamais rompre avec les différents champs de la médecine. C'est toute la définition de la médecine générale, qui, plus que jamais, doit revenir au coeur de notre système de soins.
Le périmètre des spécialités doit également être redéfini pour aboutir à des praticiens plus polyvalents et, par la même, mieux armés pour s'adapter aux défis posés par les technologies émergentes. La séparation traditionnelle entre médecine et chirurgie elle-même doit être interrogée. Une évolution souhaitable serait le remplacement des techniciens purs d'aujourd'hui par des médecins polyvalents complétant leur exercice par une compétence technique. Celle-ci ne représenterait plus le coeur de métier, mais une simple spécificité professionnelle.
Ceci est affaire de formation universitaire bien entendu, mais pas uniquement. Le système de financement des soins basé sur la tarification de l'acte n'encourage pas la polyvalence. Il lui est même antinomique. À terme, il ne peut que générer repli sur soi, conservatisme et résistance à la technologie.
Si la culture technologique est fondamentale pour construire le médecin du futur, elle ne représente qu'un aspect et sera insuffisante. Plus que des docteurs "geek", l'avenir fait d'intelligence artificielle, d'objets connectés et de robots, se préparera avec des praticiens polyvalents, dotés d'une solide formation clinique.
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