MEDECINE ET ROBOTIQUE

MEDECINE ET ROBOTIQUE

Quand l'intelligence artificielle sert à créer des formes de vie artificielles

C'est devenu banal. Au XXIe siècle, la fiction -tout au moins celle du XXe- est rattrapée par la réalité, toujours plus surprenante. Il y a 2 ans, nous présentions les micro-robots circulants. Des chercheurs américains ont peut être réussi à fabriquer des machines encore plus performantes et plus adaptables au corps humain. En s’aidant de l’intelligence artificielle, ils ont composé des « machines biologiques » à partir de cellules souches. Nous sommes donc, au sens propre, en train de parler de la création d'une vie artificielle. Que l’on se rassure, nous sommes très loin des êtres fantasmagoriques qui échappent au contrôle humain et menacent la civilisation. La machine dont il s’agit est composée de cellules biologiques assemblées. Mais, si elle répond bien à la définition scientifique du vivant, elle n'est rien de plus que cette définition. Inutile donc de verser dans l'imaginaire irrationnel. Les chercheurs envisagent plusieurs utilisations médicales fort intéressantes. Comme les micro-robots, les machines biologiques pourraient servir à transporter des médicaments, à faire de la chirurgie interne -éliminer des plaques d’athérome par exemple-ou encore à faire du repérage de cancers en formation.

Prenons quelques instants pour examiner leur travail. 

 

LE TRAVAIL DES CHERCHEURS EN QUELQUES QUESTIONS

 

Quel peut être l’intérêt des « machines biologiques » par rapport aux machines conventionnelles? 

Les matériaux synthétiques sont plus faciles à travailler et à utiliser pour concevoir des machines. Mais les meilleurs candidats pour fabriquer des matériaux biodégradables et bio-compatibles, ce sont les tissus biologiques eux-mêmes. C'est dans cette idée que les chercheurs ont utilisé des cellules souches. 

 

Bio-compatible. Un matériau est dit bio-compatible quand il interagit peu avec l’organisme. Il peut ainsi être intégré au corps humain sans provoquer de réaction de rejet. 

 

Cellule souche. Il s'agit d'une cellule précurseur de toutes les autres cellules de l'organisme. L'embryon, qui se forme après la fusion des gamètes (le spermatozoïde et l'ovule) contient des cellules souches, qui, après un certain nombre de divisions, se différencient pour donner naissance aux organes du corps. 

Une cellule souche peut donc donner n'importe quel type cellulaire. Cette propriété est très utilisée en médecine dans le traitement d'un nombre varié de maladies. 

 

Quel est le rôle de l’intelligence artificielle?

Les cellules forment le matériau de la machine biologique. Mais, pour obtenir le fonctionnement souhaité (se déplacer, transporter un objet), elles doivent être associées de façon précise. Pour savoir comment faire, les chercheurs ont fait de la simulation informatique.

 

In silico. Ce terme désigne la recherche faite par simulation informatique. Il vient s'ajouter à in vivo (recherche sur le vivant) et in vitro ( recherche en milieu artificiel). Le mot "silico" fait référence au silicium qui compose les circuits des ordinateurs. Les chercheurs ont conçu les machines biologiques "in silico" avant de les transférer "in vivo". 

 

Ce sont des techniques d’intelligence artificielle, plus précisément des algorithmes évolutifs qui ont été utilisées pour la recherche in silico. L'algorithme explorait les différentes possibilités d'associer les cellules. Puis, il simulait leur comportement  pour 4 actions que nous décrirons plus bas: la locomotion, la manipulation d'objet, le transport d'objet, le comportement collectif. Les associations les plus performantes étaient sélectionnées pour les expériences in vivo.

 

 

Comment les chercheurs ont-ils fabriqué la « machine biologique » à partir des cellules? 

Elles ont été fabriquées avec des cellules d’embryons de Xenopus laevis. 

 

Xenopus laevis est un petit amphibien originaire d’Afrique. Il est très utilisé comme modèle par les chercheurs en biologie. 

 

Après avoir été prélevées, les cellules ont été placées dans un milieu biologique à l’intérieur duquel elles se sont ré-agrégées pour former des sphères. La sphère a ensuite été travaillée à l’aide d’instruments de micro-chirurgie pour lui donner la forme souhaitée,c'est-à-dire celle proposée par la simulation informatique.

 

A quoi ressemblent les organismes fabriqués par les chercheurs?

Il ne s'agit pas d'animaux dotés d'un corps avec tête, tronc et membres comme l'est Xenopus. Les "machines biologiques" ont la forme de petites boules irrégulières.

 

Quelles étaient les actions des machines biologiques?

Après avoir été fabriquées selon la méthode résumée ci-dessus, les « machines biologiques » sont placées dans un milieu aqueux où leur comportement est observé et comparé à celui prédit par la simulation informatique. 

 

Les chercheurs ont défini 4 comportements à tester: la locomotion, la manipulation d’objet, le transport d’objet, le comportement collectif. 

 

La locomotion.

Pour donner aux organismes la capacité à se déplacer, les chercheurs ont exploité la propriété contractile naturelle des précurseurs du coeur. Ils en ont introduit un certain nombre en leur au sein. Pour le test de locomotion, ils ont posé les "machines biologiques" sur un plat. Les cellules cardiaques contractiles ont assuré le mouvement des organismes en les poussant contre la surface.

Les trajectoires spontanées observées étaient corrélées à celles prédites par la simulation  informatique.

La manipulation d’objet

Lorsque l’environnement contient des micro-particules, les organismes peuvent les fixer pour nettoyer la zone.  Il est également possible de les diriger vers une région cible à traiter. 

Le transport d’objet

Certains modèles ont été conçu par le logiciel avec un trou au milieu leur permettant de fixer un objet à transporter. 

Le comportement collectif

Des comportements collectifs ont été observés lorsque plusieurs machines étaient placées dans le même environnement. Par exemple, 2 organismes entrent en collision, restent liés temporairement en orbitant l’un autour de l’autre puis se séparent selon des trajectoires tangentielles. Ici aussi, ces comportements ont été prédits par la simulation informatique. 

 

Discussion des auteurs

Il a été possible, avec une technique d'intelligence artificielle, l'algorithme évolutif, de dessiner des modèles de machine qui peuvent ensuite être construits avec des matériaux biologiques plutôt qu’avec des matériaux synthétiques. 

Non seulement les formes mais aussi les comportement peuvent être prédits « in silico ». 

Bien qu’elle n’aient pas de système nerveux, les cellules ont une propension à se regrouper spontanément et à collaborer. Ainsi, on a observé qu’elles se déplaçaient selon une trajectoire prédictible, qu'elles pouvaient nettoyer les déchets de leur  environnement et qu’elles pouvaient se réparer elle-même lorsqu’elles étaient endommagées.

Les chercheurs insistent sur le fait que ce type de comportement spontané ne peut être attendu de machines artificielles. 

Concernant la médecine, les chercheurs pensent que l'on peut envisager la fabrication de « biobot » qui seraient des robots formés des propres cellules d’une personne. 

 

COMMENTAIRE DE LA REDACTION DE MEDECINE ET ROBOTIQUE

Quelle perspective enthousiasmante que le "biobot", tant la médecine personnalisée et non invasive est le défi du siècle ! L'athérosclérose et le cancer sont les 2 plus grands assassins de la planète. Tous les efforts de la recherche médicale tendent vers les thérapeutiques ciblées. Elles ont l'avantage, contrairement aux médicaments conventionnels de n'agir qu'au site de la maladie, d'être plus efficaces et de ne générer que peu d'effets secondaires. 
Les micros robots circulants sont d'excellents candidats pour cette médecine ciblée. Les "biobots" en sont peut-être de meilleurs. En effet, composés des propres cellules d'une personne, ils disposeraient de la bio-compatibilité parfaite.

 

 

Le résultat obtenu par les chercheurs américains est aussi l'occasion de quelques remarques sur la place de l'intelligence artificielle dans la révolution technologique. 
Intelligence artificielle et humaine 

Cette étude nous montre ce qu'est concrètement l'intelligence artificielle. Dans le fond, ce que nous nommons intelligence artificielle est un ensemble d'outils informatiques qui s'auto-programment. Cette propriété leur confère une grande autonomie et démultiplie les possibilités pour les chercheurs. 

Il n'est pas inutile de redire que l'IA n'est pas autonome. La seule véritable intelligence reste bien celle, très humaine, des chercheurs qui ont conçu et conduit cette étude. 

La force du vivant

Les ressources naturelles du patrimoine génétique des organismes vivants sont surprenantes. En effet, si l'algorithme a défini l'agencement des cellules, c'est ensuite l'expression spontanée du patrimoine génétique qui donne les 4 actions décrites par les auteurs. Cette étude nous emmène ainsi au plus profond des fondements du vivant. En dirigeant la croissance cellulaire dans la direction qu'ils avaient déterminées au préalable, les chercheurs ont crée une forme de vie artificielle. Il ne faut cependant pas extrapoler. Elle n'appartient ni au monde végétal, ni au monde animal. Comme l'écrivent les chercheurs, ce sont des machines faites de briques biologiques au lieu de matériaux synthétiques. Pour eux, et c'est leur postulat de départ, le vivant est bien meilleur pour fabriquer les machines de la médecine miniaturisée du futur. 
Quelques remarques sur l'éthique 

C'est ici l'occasion de quelques remarques sur la technologie et l'éthique. La technologie est le Janus du XXIe siècle. Selon l'usage qui en est fait, elle peut donner le meilleur ou le pire. As-t-on créé une forme de vie artificielle qui, demain pourrait s'autonomiser, nous échapper et nous asservir? La simple lecture de l'article scientifique nous montre que ce questionnement n'a aucun sens, aucun lien avec la réalité scientifique.

C'est pourtant bien une question de société fondamentale de savoir ce qu'on fait de l'innovation, dans quel but et selon quelles méthodes. J'observe que, malheureusement, le débat éthique est infondé. Non pas l'éthique elle-même, principe essentiel qui doit nous aider à tirer le meilleur parti de la technologie. Mais comment débattre avec bon sens si on parle sans s'informer vraiment? Comment faire avancer la société si on se contente de répercuter les effets d'annonce ? Si on tient pour acquis des résultats de recherche préliminaires dont on a aucune preuve qu'ils puissent se concrétiser dans la vraie vie? Si on  échaffaude des scenari de science-fiction pour parler d'éthique ensuite? 

Je dirais que l'éthique, c'est, en premier lieu, mettre à disposition du public une information technologique francophone, loyale et objective. D'abord, expliquer et faire comprendre pour former les citoyennes et les citoyens du XXIe siècle. 

 

REFERENCES

Lien vers l'article des chercheurs. En anglais. La figure 3 montre des photographie de la "machine biologique".

https://www.pnas.org/content/pnas/117/4/1853.full.pdf

 

Lien vers la page wikipedia consacrée à Xenopus Laevis où vous pourrez voir une photographie de l'animal sur lequel ont été prélevées les cellules souches

https://fr.wikipedia.org/wiki/Xenopus_laevis

 

Liens vers les articles du blog consacrés aux micro-robots circulants:

MICRO-ROBOTS CIRCULANTS: UN TOURNANT POUR LA MEDECINE? PREMIERE PARTIE 

 

LES MICRO-ROBOTS CIRCULANTS VONT-ILS OUVRIR UNE NOUVELLE PAGE DE L'HISTOIRE DE LA MEDECINE?

 

 

 

 

 



26/02/2020
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