ENTRE MYTHE ET REALITE SCIENTIFIQUE, QUE PEUT APPORTER L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE EN MEDECINE ?
L’intelligence artificielle alimente des débats passionnés dominés par la crainte d’un chômage technologique massif. Pourtant, plusieurs expérimentations récentes n’ont pas été à la hauteur des promesses. Ainsi en est-il de WATSON, le système d’IBM, dont la commercialisation est à la peine, certains acheteurs s’étant déclarés déçus.
La plupart des prédictions qui alimentent le débat public ont pour point de départ des données générales et des suppositions sur les capacités futures de l’IA. Ceci donne lieu à des interprétations bien souvent irréalistes, parfois fantaisistes et presque toujours catastrophistes. L’expérience menée par l’équipe de psychiatrie du CHU de Bordeaux nous donne l’occasion d’une réflexion prospective ancrée dans les réalités technologiques et professionnelles.
Résumé de l’expérience
L’agent conversationnel se présente sous la forme d’un personnage animé qui apparaît sur un écran. Les patients, interrogés selon le questionnaire DSM 5 de la société américaine de psychiatrie, répondent exclusivement par oui ou par non. Il ne s’agit donc pas d’une conversation à proprement parler puisqu’il n’y a pas d’échange interactif. Le logiciel inclut dans l’agent conversationnel analyse les réponses et rend une interprétation quant à la présence ou non d’une dépression. La performance de la machine a été comparée au diagnostic établi par des médecins psychiatres. Un peu moins de 50% des dépressions ont été reconnues par l’agent conversationnel, une performance plutôt modeste donc. En revanche, la spécificité est de 93%, un excellent résultat qui signifie que lorsqu’un diagnostic est affirmé, il y a peu d’erreurs. Autre résultat très intéressant, l’agent conversationnel est bien accepté des patients. Pour les auteurs, l’une des explications en serait la plus grande facilité à se confier à une machine plutôt qu’à un humain qui peut vous juger. Voici une réflexion à approfondir dans notre approche parfois effrayée de la relation homme/machine.
Algorithme médical et algorithme informatique
Si l’intelligence artificielle est faite d’algorithmes, les médecins en composent également de longue date pour faciliter les démarches diagnostiques et les décisions thérapeutiques. La plupart nécessitent le recueil d’un grand nombre d’items et demandent le calcul de scores. Fastidieux à utiliser en consultation, ils s’avèrent inadaptés à la médecine du quotidien. Les algorithmes médicaux, dont l’intérêt est pourtant bien démontré, sont ainsi délaissés et rarement employés en dehors de la recherche clinique.
L’agent conversationnel, tel que proposé par l’expérience du Pr Philip, offre une opportunité nouvelle. La conclusion de l’étude ne doit pas être lue sous le signe de la performance de l’agent conversationnel, car, en réalité, c’est celle du questionnaire qui a été évaluée. Le résultat aurait probablement été le même si les réponses avaient été rendues sur une feuille avec un stylo. Le véritable résultat est l’acceptation des patients.
Ainsi, cette étude nous dit que les algorithmes médicaux peuvent être automatisés au moyen d’agents conversationnels.
Un agent conversationnel dans chaque salle d’attente?
Le cas de la dépression est emblématique car la majorité des plaintes ne sont pas exprimées auprès des psychiatres mais des médecins d’autres disciplines, principalement les généralistes. Et nombre de prescriptions d'anti-dépresseurs sont initiées par des non spécialistes, les patients étant adressés secondairement au psychiatre. L’agent conversationnel met le questionnaire spécialisé de référence DSM-5 à disposition de tout médecin. Ainsi, il devient possible, pour un médecin non psychiatre mais confronté au problème de la dépression d’affiner sa méthode diagnostique. Ceci pourrait être étendu à toute autre situation où un questionnaire complexe avec algorithme décisionnel est utile au médecin.
L’agent conversationnel, tel qu’employé par l’équipe du Pr Philip permet d'envisager des « pré-consultations » où le patient serait évalué au moyen d’entretiens conduits par des agents conversationnel, le médecin recueillant le résultat.
Une réalité technologique moins spectaculaire qu'annoncée mais plus encourageante pour l'avenir
Cette expérience nous donne donc un exemple concret d’intelligence artificielle. Nous sommes loin d’entités mécaniques en état de supplanter totalement le médecin humain, c’est-à-dire capables de recueillir un interrogatoire, examiner physiquement une personne, tirer une conclusion diagnostique, mettre en oeuvre un traitement et expliquer tout cela au patient.
Ces considérations qui, malheureusement alimentent le débat public, relèvent de la science-fiction. Ce que nous voyons apparaître sont des outils développés pour des usages spécifiques qui peuvent prendre toute leur place dans le quotidien de la consultation médicale en aidant les opérations intellectuelles fastidieuses.
Il reste aux pouvoirs publics à donner aux professionnels les moyens de moderniser la médecine. Mais ceci est un autre débat..
Références.
http://internetactu.blog.lemonde.fr/2017/10/07/watson-lintelligence-artificielle-en-ses-limites/
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