MEDECINE ET ROBOTIQUE

MEDECINE ET ROBOTIQUE

UNE INTELLIGENCE ARTIFICIELLE POUR LIRE LES PENSEES?

Sera-t-il possible, un jour, de "lire les pensées» ? L’expérience publiée dans la revue Nature/Scientific Report en janvier 2019 par une équipe de chercheurs de New York, nous en rapproche peut-être. Mais, si les scénarios des films de science-fiction restent très éloignés, les interfaces humain /machine qui permettent de piloter des drones, des robots ou des ordinateurs par la pensée ainsi que les neuroprothèses d’aide à la parole pour personnes paralysées pourraient bien connaître d’intéressants progrès grâce à l'intelligence artificielle.

Essayons ensemble de comprendre  le travail des chercheurs et pénétrons l'univers passionnant de la "lecture de la pensée". 

 

QUELQUES INFORMATIONS PRÉALABLES POUR COMPRENDRE 

 

Qu'est-ce qu'un électro-encéphalogramme (EEG)? 

Le cerveau produit des ondes électriques qui correspondent à l'activité des cellules qui le composent: les neurones. Ces ondes existent en permanence, que ce soit pendant le sommeil ou en éveil. Il est possible de les enregistrer, c'est l'électro-encéphalogramme. Cet enregistrement est un examen médical courant très utilisé en neurologie et en médecine du sommeil.

Il existe plusieurs façons de le recueillir. La plus répandue est l'EEG dit de surface. Des électrodes sont placées à la surface du crâne. Le signal vient du cerveau et doit traverser la boîte crânienne pour atteindre l'électrode d'enregistrement. 

La méthode invasive consiste à introduire les électrodes d'enregistrement sous la boîte crânienne, à la surface où à l'intérieur du cerveau. Il s'agit d'une procédure de neuro-chirurgie utilisée pour traiter certaines maladies comme l'épilepsie résistante aux médicaments. Les chercheurs New Yorkais ont choisi une méthode invasive avec des électrodes placées à la surface du cerveau.

 

QUELLE A ETE L'EXPERIENCE REALISEE PAR LES CHERCHEURS?

L'étude a inclus 5 patients pris en charge en neurochirurgie pour ablation des foyers épileptiques dans le but de traiter une épilepsie résistante aux médicaments. Pour ce type d’intervention, les neurochirurgiens implantent des électrodes à la surface du cerveau. Les chercheurs ont capté le signal électro-encéphalogramme émis par ces électrodes pour réaliser leur expérience. 

 

Ce n’est pas la première fois que ce type d’expérience est organisé par des chercheurs qui s’intéressent à l’interface homme /machine. En effet, tout système de contrôle d'objet "par la pensée" (un drone, un robot, un ordinateur) repose sur la captation des ondes cérébrales et l'enregistrement d'un EEG. La présence de sondes dans le cerveau offre les meilleures conditions pour recueillir un EEG et par là, les meilleures conditions expérimentales. 

Rappelons, pour celles et ceux qui ne seraient pas familiers des études cliniques que ce type d'expérience est strictement réglementé que ce soit en Europe ou aux Etats-Unis. Chaque patient a signé un consentement d'inclusion dans l'étude. Par ailleurs, le cerveau, bien que centre neurologique, ne contient pas de récepteurs sensitifs. Il ne ressent donc pas la douleur. Dans ce type d'expérience, il n'y a pas d'intervention sur le cerveau. Les chercheurs se contentent de recueillir un signal EEG. C'est le signal EEG qui subit une transformation. L'expérience est donc sans risque médical et sans douleur pour les personnes participantes. 

 

L'expérience a consisté à faire écouter à chacun des 5 patients un texte lu par une personne extérieure pendant une durée 30 min. Pour être certain que le patient avait bien entendu, on interrompait la lecture à intervalle régulier et on faisait répéter la dernière phrase. 

Les chercheurs ont enregistré l’électro-encéphalogramme émis par le cortex auditif pendant l’écoute de la lecture. 

C’est à partir de cet enregistrement qu’ils ont reconstitué la parole. 

 

Evaluation de l'intelligibilité

Seulement une partie du texte écouté a été reconstruite, 8 phrases et des chiffres. L’intelligibilité de la parole reconstruite a été évaluée au moyen de tests objectifs  qui ont porté sur les 8 phrases et de tests subjectifs qui ont porté sur les chiffres. 

Evaluation subjective. Les chercheurs ont demandé à 11 personnes d’écouter la reconstruction des chiffres dans un environnement calme. Chaque chiffre était écouté une seule fois. Les personnes participantes avaient pour consigne, soit de reproduire le chiffre si il était compréhensible, soit, dans le cas contraire, d'indiquer qu’il n’était pas intelligible. Il fallait également donner le genre de l’orateur ou de l’oratrice. (Le texte écouté par les patients était lu par 4 personnes, 2 femmes et 2 hommes). Enfin, il fallait attribuer une note de qualité à la parole reconstruite sur une échelle de 1à 5.

Evaluation objective. Les chercheurs ont soumis les enregistrement à un algorithme de mesure de l’intelligibilité qui rendait une note comprise entre 1 (très mauvais) et 10 (très bien). Cet algorithme est utilisé de manière courante pour évaluer l’intelligibilité des technologies de synthèse de la parole. 

 

Principaux résultats 

Les chercheurs ont donc utilisé l’électro-encéphalographie invasive pour mesurer l’activité des neurones du cortex auditif de 5 personnes pendant qu’elles écoutaient un texte lu par d’autres. La reconstruction n’a pas été faite sur l’intégralité du texte mais sur des parties. L’évaluation objective a porté sur l'écoute de la reconstruction de 8 phrases (40 s au total) et l’évaluation subjective sur celle de 40 sons de chiffres de zéro à 9. 

4 méthodes au total ont été testées pour reconstruire la parole, dont 2 utilisant l'apprentissage profond. Parmi elles, c’est celle basée sur l’entrainement par apprentissage profond d'un vocodeur qui s’est avérée être la plus efficace. (Un vocodeur est un dispositif électronique de traitement du signal sonore utilisé dans les métiers du son). 

Evaluation subjective. Les performances des 4 méthodes étudiées s’échelonnent de 45 à 75% pour l’intelligibilité, la note de qualité de 2.1 à 3.4 /5 et l’identification du genre de l’orateur de 32% à 80%. Pour chacun de ces 3 résultats, la meilleure performance est obtenue par le vocodeur entraîné par deep learning. 

Evaluation objective. Elle confirme les résultats de l’évaluation subjective avec un résultat significativement de meilleur qualité pour le vocodeur entraîné par deep learning. 

 

Discussion des auteurs

Les auteurs mettent en avant les résultats suivants. Parmi les méthodes étudiées, celle basée sur le vocodeur entraîné par apprentissage profond a donné les meilleurs résultats. La qualité de la reconstruction est dépendante du nombre d’électrodes implantées dans le cerveau. 

Leur conclusion est la suivante. « Nous présentons un cadre général pouvant être utilisé par les technologies de neuroprothèses parlées et pouvant aboutir à des reconstructions intelligibles de la parole à partir du cortex auditif. Ceci peut représenter un pas vers la prochaine génération d’interface homme-machine et vers des moyens de communication naturels pour des patients souffrant de paralysies et de locked-in syndrome ». 

 

COMMENTAIRES DE LA REDACTION DE MEDECINE-ET-ROBOTIQUE

La récupération des ondes émises par l’activité électrique du cerveau pour interagir avec des objets technologiques fait l’objet d’un intérêt croissant. Les scènes de « lecture des pensées » de nos films de science-fiction vont-elles prendre vie prochainement? Plusieurs médias n’ont pas hésité à l’affirmer à la lecture de l'article de Scientific Report. La réalité n'est pas aussi spectaculaire mais il n'en demeure pas moins que les résultats acquis pas les chercheurs ouvrent de grandes perspectives, en interface humain/machine mais aussi et surtout en médecine. 

 

 Où en sont réellement les chercheurs?

Précisons, tout d'abord, si besoin était, qu'il n'y a pas eu, dans ce travail, de création d'un système d'IA autonome capable de lire les pensées. Cette interprétation de la recherche est fausse. Il ne s’agit que d’une extrapolation destinée à faire le buzz sur les réseaux sociaux. A cet égard, remarquons que les chercheurs n'en parlent à aucun moment  dans leur article. 

Nous avons reproduit leur conclusion. Pour les auteurs, l'étude a montré l’intérêt des techniques d’IA, plus précisément l’apprentissage profond, dans le traitement du signal EEG pour reconstruire la parole. Rien de plus. 

Ajoutons que l’expérience ne correspond pas à une lecture passive de l’activité cérébrale des sujets. Une tâche (l’écoute d’un texte) a été demandée aux participants. Cette tâche mobilise une zone unique et bien ciblée du cerveau, le cortex auditif. C’est assez différent de l’acte de penser librement par soi-même. Nous n’avons pas encore les moyens technologiques d’enregistrer à distance les pensées d’une personne et de les retraduire en paroles!

Cette recherche est, certes, une avancée scientifique et technique mais, à ce jour, il est très prématuré de parler de technologie aboutie. 

Il n’est bien entendu pas interdit de se projeter et d’imaginer les évolutions futures. A l’avenir, peut être, pourrons-nous lire les pensées. Mais affirmer que cela a été réalisé par cette étude est faux. Les chercheurs ont simplement montré que l'intelligence artificielle pouvait être efficacement utilisée pour améliorer les techniques actuelles d'interaction cerveau-machine.

Il reste maintenant à concrétiser cela dans des applications pratiques. 

 

Quel peut être l’avenir de l’interface cerveau-machine?

De premières applications sont déjà sur le marché. Il s’agit de casques qui permettent de piloter des objets robotisés par la pensée, des drones par exemple. Ils sont basés sur le même principe de recueil de l’EEG traduit secondairement en commande motrice. 

Mais les applications les plus intéressantes sont médicales. Ces recherches suscitent de grands espoirs pour le handicap. En effet, l'un des objectifs des chercheurs est d'aboutir à la production de neuro-prothèses qui permettraient de rendre la communication avec l'extérieur à des personnes paralysées ayant perdu l'usage de la parole mais qui s'entendent penser. Ces prothèses recueilleraient le signal auditif pour le retraduire en son parlé. Un enthousiasmant progrès médical en perspective!  

 

Référence

 https://www.nature.com/articles/s41598-018-37359-z

 

POUR COMPLETER SON INFORMATION

SUR LES INTERFACES CERVEAU/MACHINE:

Une synthèse datée de 2015 par les chercheurs de l'INSERM qui expose clairement les principes techniques

https://www.inserm.fr/information-en-sante/dossiers-information/interface-cerveau-machine-icm

SUR LA RECONSTRUCTION DE LA PAROLE PAR EEG

En anglais et en accès libre.

Un article général de la revue Science  accompagné d'enregistrements audio de paroles reconstruites (dont un de l'étude que nous avons présenté).

https://www.sciencemag.org/news/2019/01/artificial-intelligence-turns-brain-activity-speech 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



21/02/2019
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